Humanisme numérique - Objectifs
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L’humanisme

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L’humanisme est un mouvement culturel et artistique européen issu de la Renaissance caractérisé par la foi en l’homme, par l’intérêt pour toutes les formes de la connaissance et inspiré par la redécouverte de la littérature de l’Antiquité gréco-romaine. Le mouvement humaniste est d’ailleurs lié à l’invention de l’imprimerie qui a permis la diffusion des connaissances. Il considère que l’Homme est en possession de capacités intellectuelles potentiellement illimitées, et donc que le savoir et la maîtrise des diverses disciplines sont nécessaires pour l’exercice de de ces facultés. Ils prônent la vulgarisation de tous les savoirs, notamment religieux ; dont la spiritualité doit être accessible à toute personne, quelles que soient ses origines ou sa langue.

L’encyclopédie Larousse définie l’humanisme comme étant « toute philosophie de la vie humaine qui, prenant l’homme et ce qui le concerne comme le centre, la mesure et la fin supérieure de toutes choses, s’applique avec ferveur à connaître et à expliquer toujours plus largement la nature humaine dans ce qu’elle a d’universel et de permanent, à favoriser, dans un souci perpétuel de renouveau fondé sur la tradition, son plus harmonieux épanouissement, à défendre, enfin, au besoin, toutes les valeurs humaines là où elles peuvent se trouver, de quelque manière, menacées ».(*)

L’humanisme prône des valeurs fondamentales telles que le savoir et le goût des idées, la foi en l’homme (valorisation de la nature humaine et volonté de rendre l’humanité meilleure), l’éducation (pédagogie fondée sur la diversification des enseignements, la promotion de valeurs telles que la sagesse), la réflexion politique (volonté pacifique et de valoriser une société idéale), ou encore, les débats religieux et le renouveau spirituel.

Les notions de liberté ou libre arbitre, de tolérance, d’indépendance, d’ouverture et de curiosité sont associées à la théorie humaniste classique. L’humanisme pratique ou moral visait à s’imposer pour tout être humain, des devoirs et des interdits éthiques : ne pas tuer, ne pas torturer, ne pas opprimer, ne pas asservir, ne pas violer, ne pas voler, ne pas humilier… Il est fondé sur le respect de droits fondamentaux de l’être-humain et la justice. Beaucoup de philosophies sensibles à l’éthique mettent l’accent sur la dignité et la valeur de tous les individus, sur la capacité de déterminer le bien et le mal en valorisant des qualités humaines universelles, en particulier la notion de rationalité. Cette quête de la vérité et de la moralité s’exerce avec des moyens humains, en particulier les sciences au service de l’humanité.

Le mouvement humanisme revêt des courants et réappropriation différentes, en fonction des époques aussi.

A partir du 19 ième siècle avec l’industrialisation et la politisation de la vie publique, le mouvement humaniste oppose plutôt l’individu, à des systèmes ou à des régimes (politiques, économiques, sociaux).

Un courant humaniste en émergence depuis les années 69 est désigné sous l’appellation d’« humanisme environnemental », ou d’« écologie humaniste », développant une philosophie de l’évolution.

Les valeurs humanistes ont aussi été critiquées par certains philosophes ou sociologues. Sur le plan éthique le philosophe Pierre-André Taguieff considère qu’elles déresponsabilisent l’être humain et encourage des pratiques douteuses comme l’eugénisme (**), et dans certains cas peut attribuer à l’Homme le droit de s’approprier la nature pour une exploitation sans limite. L’humanisme a aussi été accusé de promouvoir une vision universaliste de l’Homme reflétant excessivement un système de valeurs spécifique à la civilisation occidentale, propre à légitimer l’impérialisme, puisque les valeurs humanistes n’ont pas été un frein à des pratiques portant atteinte aux droits fondamentaux humains telles que l’esclavage, l’extermination des Indiens d’Amérique, l’assouvissement de peuples avec la colonisation de territoires.

Dans les années 1970, un mouvement antihumanisme s’est développé (position philosophique présente dans le marxisme, la psychanalyse et le structuralisme, considérant que l’idée de nature humaine est une illusion idéologique), et elle a donné naissance au concept de « post-humain ». Selon Jean-Paul Baquiast, « on peut penser que le posthumanisme poursuivra les mêmes buts que l’humanisme actuel, mais avec un référentiel de valeurs qui devra être adapté, car les obstacles à surmonter et les buts à atteindre auront eux-aussi changé » (***). Il précise que si « le premier humanisme a été l’affirmation de l’individu arraché à ses chaines d’appartenances sociales et religieuses, l’humanisme de demain sera peut-être celui de l’ouverture aux réseaux d’échanges et aux chaînes de solidarité, ainsi qu’une plus grande communion avec ce qui n’est pas humain au sein de la nature comme, un jour peut-être, au sein du monde de l’artificiel. Hervé Fisher rejette le « fantasme du posthumanisme » et sa fascination pour l’intelligence artificielle dans lesquels il ne voit qu’« un antihumanisme de plus », il préfère parler d’« hyperhumanisme » : « L’hyperhumanisme, ce pourrait être aussi ce renforcement de notre conscience et de notre volonté de choisir notre avenir, de donner un sens humain à l’Univers en assumant les risques de la technoscience, les risques de notre liberté nouvelle, et en construisant une éthique collective capable d’assurer notre sécurité et notre progrès sur la base non plus de la lutte entre les individus et les peuples, mais de la solidarité (des liens) entre les hommes et d’un sens plus élevé de nos responsabilités » (****).

Au sein de son ouvrage « Pour un humanisme numérique », Milad Doueihi cite Claude Lévi-Strauss qui distinguait dans l’histoire trois humanismes successifs en Occident: « l’humanisme aristocratique de la Renaissance, ancré dans la découverte des textes de l’Antiquité classique ; l’humanisme bourgeois de l’exotisme, associé à la découverte des cultures de l’Orient et de l’Extrême-Orient ; enfin, l’humanisme démocratique du xxe siècle, celui de l’anthropologue, qui fait appel à la totalité des activités des sociétés humaines. ». Il note qu’a chaque fois l’émergence de ces 3 humanismes sont liés à de nouvelles découvertes, une évolution politique, mais aussi à une évolution des rapports au document culturel, des techniques de médiation et de communication, qui modifient les rapports avec la collectivité, et engendre une nouvelle éthique capable d’influencer les actions et comportements. Il analyse certaines mutations de nos repères qui contribuent à l’émergence d’un « quatrième humanisme numérique ». Il analyse notamment l’émergence d une nouvelle sociabilité numérique avec le développement des réseaux sociaux « ce statut de figure et de métaphore […] afin de mieux saisir les dimensions culturelles mises en jeu par l’amitié numérique » (p58). l’évolution des rapports entre le savoir et le pouvoir avec le développement d’une économie de l’abondance de supports d’information et de communication, il interroge la question de l’imaginaire numérique et des nouveaux rapports à la mémoire, à l’Histoire (mémoire collective) et à l’identité (mémoire individuelle), il étudie aussi les nouveaux modèles de gestion de l’information, ou encore, il fait le constat que la culture numérique a été portée par la culture occidentale mais influence la planète entière, par conséquent « Comment, dans ce contexte, imaginer l’évolution de l’environnement numérique dans une autre perspective, selon des chemins qui ne seront plus exclusivement ceux de l’Occident, de ses concepts et de ses catégories ? » (p. 39).

Le développement des technologies numériques et les avancées scientifiques ont engendré de profondes mutations sociétales, culturelles et économiques, avec de nouveaux rapports au savoir, à la culture, au pouvoir, à la démocratie et à l’espace publique, à l’espace-temps dans nos façons de communiquer et d’organiser nos activités. Elles voient l’émergence de nouvelles formes de liens sociaux, de rapport au corps, avec de nouveaux concepts tels que ceux de l’hydridation, de la virtualisation, de la modélisation et robotisation. Il faut donc interroger et analyser toutes ses mutations pour comprendre comment ces modèles et valeurs humanistes se sont transformés aujourd’hui ? Et comment les valoriser dans ce nouveau contexte avec ces nouvelles perspectives avec quelles politiques ? Quelles sont les divergences, les convergences et les incompatibilités entre humanisme et transhumanisme ? Un nouveau modèle n’est t-il pas à envisager comme celui de l’hyper-humanisme proposé par Hervé Fisher, prenant en compte aussi les nécessités de construire un modèle développement social durable et inscrit dans les problématiques environnementales actuelles.


Références :

(*) Encyclopédie en ligne Larousse.

(**) Pierre-André Taguieff ,« La philosophie dans le laboratoire », Le Monde, 15 juin 2007 [En ligne].

(***) Hervé Fisher, « L’hyperhumanisme contre le posthumanisme », revue en ligne l’Argument, vol. 6 no. 2 Printemps-été 2004 [En ligne].

(****) Jean-Paul Baquiast, Ce monde qui vient: sciences, matérialisme et posthumanisme au XXIe siècle, L’Harmattan, 2014.

(*****) Milad Doueihi, Pour un humanisme numérique, Seuil, 2011.